Le sang des vignes

Écrit en 2017.

Fait divers scabreux.

Il existe une région en France nommée le Signum. Dans ces alentours se situe un village dont le vin est réputé partout dans le monde. Ce ne sont pas seulement ses qualités gustatives qui retiennent l’attention. Bien sûr, il est excellent sous tous rapports. Sauf, peut-être, financier. Dans la rubrique visuelle, sa limpidité, sa profondeur, et même son moelleux font références. La dimension olfactive n’est pas en reste : l’intensité de ses arômes, sa finesse qui ne lâche rien à sa complexité… Un équilibre. Tout. Presque tout. Les débats tournent principalement autour de l’aspect gustatif. Les tannins sont robustes et une harmonie certaine s’en dégage. Le vin est souple, fort, et onctueux. Cependant, plusieurs sceptiques diront qu’il possède un goût métallique trop prononcé.

Ceux-ci sont probablement les mêmes qui racontent que les habitants du Signum sont capables de faire de l’alcool avec des cailloux parce qu’ils ne boivent jamais d’eau. Il est vrai que la consommation d’alcool de cette population est élevée. En effet, les Signumites arrivent deuxièmes dans le classement mondial en termes de litre par an et par habitant. Mais ce n’est pas le thème de ce texte.

Dans la rubrique « faits divers », la rédaction a appris via une source fiable le secret de fabrication de ce vin renommé. Le lecteur assidu se souviendra d’un article paru l’année passée concernant une grève de la faim des moines de Signum. À l’époque, les services communaux avaient décidé de reprendre l’administration des cimetières de la région. La démarche paraissait logique car les morts n’étaient pas tous confessés, et certains proches ne trouvaient pas acceptable que seule l’abbaye s’occupe des suivis funéraires. De leur côté, les moines argumentaient qu’il en avait toujours été ainsi et qu’il s’agissait d’une dimension primordiale de leur identité.

Nous ne pouvons que reconnaître l’aspect presque cocasse de la situation. La rédaction l’a précisé à l’époque, mais un rappel est souvent pertinent : les activités principales de cette paroisse ont toujours été la préparation de leur vin et des morts. De fait, chaque personne qui décède dans les environs de Signum est prise en charge par l’abbaye. Et ce, à une vitesse qui ferait pâlir l’administration de nombreux pays. C’était d’ailleurs un gros argument du clergé : changer de responsables serait s’exposer au risque d’un moins bon service.

Mais passons car ce sujet a déjà été présenté. Les informations de notre source nous invitent à penser que l’activité des moines de Signum est en fait unique. En effet, il semblerait qu’ils utilisent le sang des morts pour arroser leur vigne.

Vous avez bien lu.

Une enquête est actuellement ouverte auprès du Parquet pour confirmer ou infirmer la véracité de ces informations. Cependant, la rédaction prend le risque de la publier parce que les documents mis à disposition sont convaincants. Précisons que notre dossier a été partagé avec les forces de Police.

Apparemment, l’abbaye récoltait les cadavres, les rendait exsangues sur leur vigne, puis en disposait selon les dernières volontés des particuliers. Cette activité trouverait ses origines dans une croyance religieuse comme quoi le sang transmettrait ses propriétés vitales aux plantes, et en accentuerait les vertus. Une perquisition est actuellement en cours dans l’abbaye et nul doute que chaque membre du clergé impliqué suivra une audition. La question de l’infraction demeure : s’agit-il vraiment d’un vol de sang ? L’infraction de profanation de sépulture ne semble pas pouvoir être retenue à l’encontre des suspects. Ce qui est sûr, c’est que cette histoire expliquerait le goût métallique du vin en question.