L. Tare

Écrit en 2017.

« Médecine militaire. »

C’est ce qui est écrit sur sa plaque. Enfin… lorsqu’elle n’est pas vandalisée par un iconoclaste irrévérencieux. Mais nous reviendrons sur ce point plus tard.

Dans une commune de Bruxelles oubliée par le gouvernement vit un homme. « Monsieur le Docteur », comme l’appellent les résidents du quartier. Il s’agit d’une population extrêmement hétéroclite dont les origines migratoires variées sont enrichies, génération après génération, par des métissages autant accomplis que nombreux. Le genre de quartier où les employés communaux ont le sentiment d’authentifier un mensonge lorsqu’ils fournissent un certificat de bonne vie et mœurs.

Dans ce quartier, donc, « Monsieur le Docteur » ouvre sa petite clinique au rez de chaussée qu’il habite. Du lundi au dimanche, de minuit à minuit ; il reçoit inlassablement chaque personne qui frappe à sa porte. Il faut dire que le Docteur est le seul à assurer ce rôle dans le secteur. Il faut aussi dire que c’est probablement parce que le-dit secteur est plutôt occupé par des pauvres.
Des pauvres, des contrevenants, des délinquants, et des criminels ; pour être plus précis.

Au début, le sujet de ce texte expliquait à ses patients que « Monsieur le Docteur » est une redondance de titre et qu’il faut utiliser « Monsieur » dans le civil, et « Docteur » dans le milieu médical. Au début, seulement.

Les rendez-vous se fixent uniquement en matinée. Vous pouvez les demander via téléphone mais le Docteur préfère les SMS. Ce n’est pas qu’il n’aime pas les conversations téléphoniques. Non. Il préfère simplement ne pas décrocher durant une consultation.

Lorsque vous entrez dans le couloir étroit qui lui sert de salle d’attente, il est capital de faire attention où vous mettez les pieds. Sur le côté droit du mur est encastrée une rangée de sièges provenant d’un stade de football. Le Docteur aime faire dans la récupération. Son voisin de droite ne l’aime pas beaucoup. Mais comme il s’agit du Doc’, le voisin en question ne se plaint pas.

Il arrive au Docteur de téléphoner à un confrère pour échanger entre experts de diverses disciplines. Les limites ne sont pas toujours claires entre les pièces de son officine. Le médecin a déjà passé ce genre d’appel à un proctologue depuis la salle d’attente, qui était évidemment bondée. Le gigolo qui était venu pour des saignements anaux est reparti avec un certificat médical le couvrant deux mois, une crème contre les hémorroïdes, et l’adresse de l’antenne « Conseil, emploi, redirection de carrière » la plus proche. Dans le même après-midi, le Docteur expliquait à une prostitué quarantenaire pourquoi les gang bang’s étaient à éviter à cause du tassement de ses vertèbres. L’homme dit souvent des femmes qu’il s’y connaît mieux en carrosserie qu’en moteur.

Vous pouvez saluer les autres patients qui attendent. Parfois, ils sont nombreux. Le Docteur a l’habitude de s’occuper des priorités en priorité. Il dit souvent que si vous avez le temps, vous êtes un privilégié. Cette salle d’attente ne respecte absolument pas les normes. Pour accéder aux toilettes, au fond à gauche, il faut longer précautionneusement le mur du même côté. Puis, dépasser l’escalier du voisin d’au-dessus. Pour ce faire, il faut enjamber les piles de courrier du Docteur ainsi que ses collections de magazines « cochons ». Son voisin du haut ne l’aime pas beaucoup. Mais comme il s’agit du Doc’, ce voisin non plus ne se plaint pas.

Quand votre tours arrive, Pablo ouvre grand la porte. Il le fait avec autant de vivacité que son sourire est éclatant. Ses dents sont une mosaïque d’or, d’argent, et de charbon. Le Docteur a ramené Pablo d’un pays du continent américain. Il en a fait son assistant dès son plus jeune âge. Le garçon n’était pas en âge de travailler en Europe. Cependant, Pablo est un garçon dynamique qui a toujours cherché à se débrouiller. Il n’aurait pas été possible de l’envoyer à l’école. De ce fait, le Docteur lui a dégoté des papiers afin de changer sa date de naissance. Personne ne pourrait croire que ce jeune garçon de treize ans en a vingt. Mais comme il s’agit du Doc’, personne ne s’en plaint.

« Le Docteur va vous recevoir. »

Pablo vous accueille toujours avec ces mots. Ce sont les premiers que son mentor lui a enseigné. L’assistant ouvre la porte vers l’intérieur du bureau et tend le bras droit, paume ouverte, dans un geste d’invitation. Pablo arbore toujours ce sourire radieux, comme si vous veniez de lui offrir un pourboire supérieur à sa paie. Ou comme si vous lui aviez raconté la meilleure blague du moment.

Étant donné que le Docteur vit dans ce rez-de-chaussée, il lui a fallut adapter l’endroit pour en faire un lieu de réception thérapeutique acceptable. Le praticien reçoit dans la cuisine. Cette pièce est occupée par une grande table sur laquelle sont éparpillés des piles de documents ; ainsi que, ça et là, des assiettes et des bols de plats exotiques. Le Docteur propose toujours un petit quelque chose à ses patients. La situation du local est absolument illégale. Mais comme il s’agit du Doc’, personne ne s’en plaint.

Le Docteur est constamment debout. Un peu comme sur le « qui vive ?! ». Probablement un reliquat de sa carrière militaire. Il bondit presque sur ses patients. D’une manière vive, chaleureuse, et attentionnée. Le Docteur serre la main lorsqu’il salue quelqu’un. Et ce, qu’il s’agisse d’un juif du quatrième âge, d’un jeune enfant de trois ans, ou d’une musulmane mariée. Son premier geste est toujours de saisir la main droite de son interlocuteur et de prendre des notes de sa main gauche. Le Docteur s’intéresse à la famille. Que ce soit en terme médicaux ou relationnels. Il demande des informations sur la vie amoureuse et sexuelle, parce qu’il trouve ça important.

Une fois, un pieu mari, outré qu’un autre homme ait touché la main de son épouse, est venu se plaindre au Docteur. Ce dernier lui a répondu que si la déité a tout créé tel que c’est, alors il l’a aussi créé lui-même tel qu’il est : c’est-à-dire non-croyant. Et que donc, si le mari était un vrai croyant, il respecterait la création divine telle qu’elle est et ne s’en plaindrait pas. Le Docteur a ajouté qu’il connaissait un excellent ophtalmologue pour s’occuper de ces tâches de sang dans les yeux du mari, et qu’il avait du thé exotique sur le feu qu’il serait ravi de partager avec son nouveau patient.

Que ce soit l’absurde de la situation, la sincérité du thérapeute, ou l’accueil chaleureux emprunt de respect et d’ouverture… qui sait ? Le fait de se découvrir une pathologie et que l’homme qu’on venait morigéner y propose un remède a de quoi déstabiliser. Le fait est que le mari jaloux a changé de ton et a pris le thé avec son nouveau Docteur.

Ses rencontres ne se déroulent pas toujours aussi bien. Celui qui aurait dû être le dernier client de sa journée s’est montré impatient. Apparemment, l’homme était pressé d’obtenir un certificat médical le couvrant auprès de son employeur. Sauf que le Docteur n’était pas dupe : le patient voulait dépasser les autres patients, et en plus il était guéri. S’il y a bien une chose que le Docteur ne supporte pas, ce sont ceux qui déclare être ce qu’ils ne sont pas. Surtout si c’est sur un plan médical. Surtout s’ils tentent de dépasser les nécessiteux. Surtout s’il s’agit d’une paperasse administrative à leur yeux, et qu’ils le font pour s’offrir des congés.

Le patient malpoli était venu en feignant de boiter, et demandait un certificat médical pour une semaine d’incapacité supplémentaire. Le Docteur s’est montré particulièrement généreux : il lui a signé son certificat médical pour deux semaines, puis lui a déboîté proprement le genoux. Il aura fallu précisément quatorze jours au blessé pour guérir. N’importe qui d’autre aurait pu être poursuivi pénalement. Mais comme il s’agissait du Doc’, le patient ne s’est pas plaint.

Le Docteur traite tout le monde de la même manière. Vous pouvez aller le voir même si vous êtes sans le sous. Il vous fera crédit ou oubliera votre dette. Lorsqu’un patient primo-arrivant vient le voir, il lui baragouine toujours la langue de son pays. Les belges ont l’obligation constitutionnelle d’apprendre une seconde langue nationale, et l’invitation culturelle de parler au moins deux de ces trois langues officielles. Le Docteur parle ces trois langues et bien davantage. Le praticien s’occupe toujours de l’aspect administratif de ceux qui viennent le consulter : vous n’aurez rien à déclarer auprès de votre mutuelle. Qu’il s’agisse des consultations, médicaments, ou séances de kinésithérapie ; le Docteur s’en occupe. Il attend même avant d’envoyer les documents si c’est la fin du mois. Comme ça, vous pouvez le payer quand votre salaire ou vos allocations arrivent.

La large majorité de ses patients sont à la Caisse Auxiliaire d’Assurance Maladie-Invalidité (CAAMI). Celle-ci est l’organisme mis à disposition par le gouvernement pour remplir les obligations d’une mutuelle sans les assurances complémentaires payantes que les mutuelles proposent. Ce service est d’office payé par les cotisations sociales et est donc virtuellement gratuit. Sa file d’attente, par contre, dure environs quatre heures. Ceux qui font appels à la CAAMI ont rarement les moyens de se payer un ordinateur pour envoyer les documents via courriel. Ou alors, ils sont suffisamment aisés et instruit que pour s’inscrire à la CAAMI puis payer une assurance complémentaire dans un géant du médical.

Il peut arriver au Docteur de prescrire des massages thaïs, des médiations familiales, ou des vacances au soleil. À cet effet, il a acheté une bicoque maudite sur le récif d’une côte espagnole. Maudite parce que, selon la légende, les âmes perdues y vont pour se suicider. En tous les cas, c’était un fait avant que le Docteur n’en prenne possession pour une somme dérisoire. L’ancien propriétaire l’aurait payé pour s’en débarrasser, s’il avait dû. Cela pourrait paraître étrange à ceux qui n’ont jamais rencontré le Docteur, mais il n’y a plus eu aucun suicide depuis qu’il a pris l’habitude d’y prendre un verre sur la terrasse proche des récifs. C’est presque incroyable ce qu’il arrive à faire lorsqu’il est ouvert à la conversation.

Le Docteur n’est pas toujours ouvert à la conversation, cela dit. Une nuit, à 04h58, pour être précis ; une femme blessée a déboulée avec un Inspecteur de Police à sa clinique. Pablo s’est réveillé de la couchette qu’il utilise dans la cuisine et à ouvert la porte comme à son habitude. L’assistant en a vu des vertes et des pas mûres dans sa vie. Que ce soit avant ou après avoir été recueilli par le Docteur. Mais son sourire éclatant a perdu de sa superbe lorsqu’il a vu ce que l’Inspecteur de Police lui apportait cette nuit-là. Après auscultation, le bilan médical ressemblait à ceci :

-Hématomes périorbitaires, hématome angle gauche de la mâchoire et difficulté d’ouverture buccale

-Hématomes deux épaules et omoplate gauche

-Hématomes deux bras et deux avants-bras

-Hématomes deux jambes

-Plaies abrasives sur genou droit très douloureux à la mobilisation

Lorsqu’il en eu fini avec l’inventaire des saloperies que le mari avait infligé à la nouvelle patiente, le Docteur s’était permis une blague. Un simple « Ne t’inquiète pas. Même boiteuse, tu restera charmante. ». La femme avait souri. Sa lèvre inférieur s’était fendue à nouveau, et une goutte de sang s’était mise à pendre de son menton. Le Docteur a rarement regretté autant son humour sombre. Il avait utilisé sa main droite pour saisir une serviette hygiénique et essuyer le visage de la jeune femme. De sa main gauche, le Docteur avait ajouté au constat de lésion :

-Plaie sanguinolente lèvre inférieure

Pendant que Pablo offrait une camomille à la victime, le praticien interrogeait l’Inspecteur de Police. Ce dernier s’appelait Fraco et vivait à l’étage en dessous du couple dont il avait amené la femme ce soir. Apparemment, il entendait fréquemment des disputes. Le policier avait déjà tenté d’intervenir mais le mari niait les faits et la femme refusait de porter plainte. Même si Fraco ouvre un nouveau Procès-Verbal à charge du mari à chaque fois, rien ne change. Cette fois-ci, le mari en question avait poursuivi son épouse dans les escaliers avec un couteau de cuisine. La femme déclare être tombée dans les escaliers. Fraco n’a rien pu faire de mieux que l’amener au Docteur parce qu’elle refusait d’aller à l’hôpital ou de signer une déclaration contre son mari. Les deux hommes s’étaient regardés silencieusement un moment. Puis, le Doc’ avait conclu par « Vous avez fait le bon choix. ».
Le Docteur a appris à apprécier les petites choses. Par exemple, lorsqu’il imprime un document, le papier est chaud entre ses doigts avant de refroidir dans les mains de son destinataire.

Il arrive au Docteur de prendre les transports en communs au hasard de la ville et d’y lire des partitions de musiques comme quelqu’un d’autre lirait le journal.
« On sous-estime l’aspect multifonctionnel des objets du quotidien. ». Le Docteur le dit souvent. Par exemple : le stylo. Son objectif premier est, bien sûr, d’écrire. Mais il l’a déjà utilisé devant témoin pour effectuer une trachéostomie. Le Docteur l’a fait sans sourciller et en déclarant qu’il a déjà vu un détenu se tatouer son verset préféré de la Bible sur l’abdomen avec ce même outil. Quand celui qui s’était étouffé avec un chewing-gum dans le bus avait cherché à parler, le Docteur avait posé sa main sur la bouche du patient en maintenant fermement sa mâchoire. Ensuite, le praticien avait ajouté que lorsqu’il était dans la Légion Étrangère, il avait dû s’opérer d’une appendicite avec le stylo que lui avait offert son père. Le Docteur ne recommande jamais ce modèle. Douloureux. Effectif, mais douloureux.

Le lendemain de la consultation avec la boiteuse, une lettre écrite et signée par le mari était placardée sur la porte de l’Inspecteur de Police Fraco. Il est difficile de se racheter une bonne conduite en une nuit. Toutefois, la lettre semblait sincère. Tremblante, certes. Mais sincère. Le mari y promettait de ne plus jamais blesser son épouse. Ce genre d’homme se repend de ses pêchés mais y retourne toujours. Tout le monde savait que, si la femme revenait auprès de lui, elle y repasserait. Le Docteur avait été récupérer les enfants à l’école pendant que Pablo réservait une chambre dans un refuge pour femmes battues.

Elle aura tenu deux mois. Même Pablo n’ose pas en reparler avec le Docteur. Cette belle femme qui a craqué pour ses enfants. Son mari la battra à nouveau. Elle aurait pu se sauver. Les sauver. Elle a quitté le refuge et est retournée vivre avec son mari. Et tout le monde agit comme si elle était morte. Comme si elle s’était suicidée par procuration. Tout ce qu’elle voudrait, c’est que son mari soit un mari. Un père pour leurs enfants.

Le Docteur se moque toujours des médecins qui ne savent pas écrire. Il rédige les certificats de décès comme des échecs personnels. Ou comme des hommages funèbres. La convention veut qu’on ne dépasse pas une page. Deux ou trois, s’il s’agit d’un crime et d’une personnalité importante. Lui, peut aller jusqu’à cinq, indistinctement de l’origine « noble » du défunt. Le Docteur dit souvent que rien n’est noble chez l’humain, et utilise à volonté les termes « humains » ou « inhumains » comme des synonymes. C’est une habitude qu’il aurait pris durant ses années à la Légion Étrangère. Son beau-père l’y avait inscrit de force parce qu’il voulait se débarrasser de l’héritier et pouvoir dilapider tranquillement la fortune familiale.

Rien. Non, vraiment rien ne destinait Louis Tare ; brillant étudiant de médecine à devenir Docteur dans une commune oubliée par le Gouvernement belge. Il est issu d’une petite bourgeoisie et a fait Médecine pour rendre honneur à son défunt grand-père. Lorsqu’il fût temps de récupérer son diplôme, sa grand-mère ; fière comme pas deux, lui donna une certaine somme pour s’acheter une petite Citroën. Rien d’extravagant. Juste de quoi marquer le coup, et lui permettre d’amener une éventuelle petite amie au cinéma en plein-air.

C’était sans compter sur une vente aux enchères extraordinaires. Louis marchait sur la grand rue avec l’enveloppe remplie d’argent que sa grand-mère lui avait offerte, lorsqu’il passa devant un bureau dont les fournitures était étalée devant l’entrée. Sur le parking était placée une Ferrari décapotable sur laquelle était déposé un carton annoté : « Liquidation totale pour faillite ». C’était un vendredi après-midi ensoleillé et personne ne semblait intéressé par ces affaires. Louis n’était pas pressé de s’acheter une « deux-chevaux », et s’avança de l’huissier de Justice en arborant un grand sourire.

Le jeune Docteur revint voir sa grand-mère avec un bolide qu’il avait acheté pour trois fois rien. Sa mère, à la vue de l’engin, avait fait un accident cardio-vasculaire. Imaginez la scène : La grand-mère conduisant le bolide vers l’hôpital, pendant que Louis fait un massage cardiaque à sa mère pour ne pas la perdre. La première chose que fit ladite mère à sa sortie de l’hôpital fût d’amener en secret la Ferrari a un garage pour la faire brider. Louis, n’en sachant rien et ne comprenant pas pourquoi son bolide ne dépassait plus les 100 kilomètres à l’heure, alla au garage pour la faire revoir. Ainsi, la mère aura payé pour la faire brider, Louis aura payé pour la faire réinitialiser sans le savoir, et tout le monde fût gagnant ; surtout le garagiste familial qui s’amusa comme un petit fou.

Le Docteur est un peu trop « sympathique ». Une fois, il a délivré un certificat médical attestant qu’un jeune homme était exempt de maladie sexuelle, en précisant : « Comme ça, ta collègue pourra se lâcher. ». Il faut dire qu’il a un rapport aux femmes plutôt complexe. Le Docteur a été marié, une fois. Louis a vite compris qu’une femme qui épousait un Légionnaire ne pourrait pas se satisfaire d’un Légionnaire. Il aura laissé à son divorce sa maison familiale et son fils. Avant et après son mariage, Louis avait l’habitude de visiter des bordels. Il prenait toujours les plus laides parce qu’ « elles aussi ont besoin d’amour ». Depuis qu’il a ouvert sa clinique, les prostituées et les sans domiciles fixes peuvent y venir sans payer. N’importe quel membre de l’Ordre des Médecins pourrait s’en attirer des problèmes. Mais, comme il s’agit du Doc’, personne ne se plaint.

Le Docteur s’ennuie rarement. Lorsque, entre deux consultations, il veut souffler quelques minutes ; le plaisantin téléphone à des prostituées et essaient de leur faire faire du labeur manuel. Ses moments préférés sont lorsque l’une d’entre-elles déclame ses tarifs puis conclu par « et pour cette somme, je fais tout. ». Le Docteur a déjà réussi à amener l’une ou l’autre à faire son ménage, tondre sa pelouse, et même lui préparer à manger. Nul doute qu’un proxénète ou l’autre a émis des réserves quant à ce détournement d’usage de sa protégée, mais comme il s’agit du Doc’, c’en est resté là.

Si vous allez le voir le lendemain d’une veille arrosée d’alcool, il ne sera pas tendre avec vous. Le Docteur n’est jamais tendre, il est simplement lui-même. Cela dit, mieux vaut-il être prévenu qu’il ne vous délivrera pas de certificat médical attestant d’une incapacité à travailler pour une autre raison que celle qui vous amène. « Tu es soufflé par l’alcool. ». C’est ainsi qu’il s’adresse aux ivrognes. Le texte reflète toujours ses constatations:

« Ne tient pas sa boisson. »

« Espère obtenir un certificat médical parce qu’il est une petite frappe incapable d’assumer ses sorties festives. »

Si vous le visitez durant la période propice à l’embouteillage de sa bière, vous aurez probablement droit à une bouteille. Le Docteur commence toujours par « Tu connais les Brasseries Tare ? ». Les deux seules réponses envisageables sont :

« Non. »

ou de rester silencieux. De fait, le brasseur la crée illégalement dans son garage. Personne n’en parle pour lui éviter des problèmes. Il explique fréquemment qu’il aime écouter le tintement des bouteilles le soir. Ca le berce. Les sceptiques peuvent toujours se rabattre sur son tord-boyaux au fût. Enfin, le terme plus adapté serait « au réservoir ». De fait, l’artiste entrepose cet alcool dans une citerne de station-service. Il va même jusqu’à servir les gens avec un pistolet de pompe-à-essence: l’effet est garanti. Le Docteur s’ennuie vraiment rarement.

Bien avant que la fièvre du gluten n’échauffe des hordes de « hipsters », ses collègues de l’Ordre des Médecins se prenaient à en parler à la première personne. « Je ne peux manger que du sans-gluten-ci, je ne puis manger que du sans gluten-çà. ». Lors d’un repas de l’Ordre, le Docteur s’était proposé pour faire la cuisine. Tout le monde sait qu’il adore cuisiner, bien manger, et bien boire.

D’ailleurs, la seule pièce dans laquelle personne n’est le bienvenu est le cellier de sa cave. Le Docteur est capable de faire cinquante aller-retours sur une soirée pour abreuver ses convives. Toutefois, Louis dit que ses bières et ses saucissons ont peur des inconnus, et il refuse d’en gâcher le goûts en les exposant aux autres.

Lors de ce repas, donc, Louis avait annoncé un plat sans-gluten ; et avait servi un plat normal. Tous ses confrères ayant profités du repas et lui ayant fourni des félicitations sur la qualité du mets ; il avait achevé son discours par énoncer la vérité : « Je vous ai tous guéris de votre intolérance au gluten. De rien. ». N’importe qui d’autre aurait été expulsé de l’Ordre des Médecins. Mais, comme il s’agit du Doc’, il a juste été décidé qu’il ne cuisinerait plus pour leurs repas.

L’idée lui était venue après la visite d’un bohémien aux longs cheveux noirs. L’homme semblait au bout du rouleau. Sa première phrase après « Bonjour, Docteur. » consista en une demande de prescription pour un anus artificiel. Selon ses dires, il souffrait d’un Syndrome du Colon Irritable (SCI) et n’en pouvait plus des douleurs et saignements que ses passages sur le trône lui imposaient.
La mine grave et tout en demeurant professionnel, le Docteur lui avait rédigé deux prescriptions. La première était un lien internet vers un régime d’économie alimentaire. La seconde était destinée à l’achat d’éponges douces de cuisines avec pour consigne de les préférer, humides, au papier hygiénique. Le SCI est une affection qui persiste à vie. Selon la rumeur, le bohémien se porte mieux.

Tous ses amis médecins ne le détestent pas, cela dit. L’étudiant a, par exemple, rencontré son meilleur ami sur les bancs de l’université. Leur relation aura débuté ainsi : Louis portait une chemise rayée. Marcel portait une chemise rayée. Ils ont croisé leurs regards dans l’auditoire en disant « stripes ! ». Et voilà. Ils étaient devenu meilleurs amis. Louis prêtait son bolide à Marcel pour qu’il impressionne les filles. C’était une peu « le temps des copains ». L’un aurait pu téléphoner à l’autre en pleine nuit pour lui demander d’aller cacher un cadavre. Et l’autre aurait répondu « J’enfile un pantalon et j’arrive. ».

Parfois, le Docteur disparaît sans prévenir. Lorsque cela arrive, il redirige son téléphone vers son ami Marcel ; sans le prévenir. La durée de ses absences peuvent varier entre deux jours et trois mois. Personne ne sait vraiment ce qu’il fait, mais cela n’empêche pas le quartier d’inventer les légendes ou rumeurs les plus folles à son propos. Le Docteur aurait été conseillé cinématographique sur une grosse production américaine. Ses années dans la Légion Étrangère l’on laissé expert dans l’art de la vie et de la mort. Apparemment, il lui serait arrivé de récolter les organes des victimes de la guerre pour sauver ses camarades d’infortune. Il aurait également appris à des acteurs de films d’espionnage quel bruit fait un homme qu’on égorge.

Si vous le rencontrez un jour, vous pourrez en tout cas comprendre qu’il a un physique qui invite à ce genre d’imaginaire. Le Docteur a le corps parcouru de cicatrices. Une, particulièrement, est impressionnante. Tout son bras gauche semble avoir été « mâché » à hauteur de son biceps. Pablo l’a déjà entendu raconter plusieurs histoires différentes sur l’origine de cette cicatrice. Mais Pablo sait comment c’est arrivé.

Un jour, le Docteur faisait l’amour à une femme sur la plage. Il entendit le jeune Pablo qui se noyait. Le Docteur alla à sa rescousse et se retrouva nez-à-nez avec un petit requin. Il lui enfonça son bras gauche dans la gueule jusqu’à l’étouffer, puis le sorti de l’eau. Le bras gauche dans un requin, un Pablo sous le bras droit ; il retourna voir sa partenaire. Celle-ci lui prêta sa trousse de couture et le Docteur se sutura le bras avec ses cheveux. Cette pratique semble lui être habituelle et explique probablement pourquoi il est dégarnit sur le haut de son crâne. Ça lui donne une sorte de coupe « mullet » hideuse. Durant un voyage en Afrique, Louis s’est accidentellement coupé la joue gauche en se rasant. Une piqûre de moustique avait rendu sa peau inopinément irrégulière. Depuis lors, sa barbe ne pousse plus de ce côté là. Mais, comme il s’agit du Doc’, il arrive quand même à rester séduisant. Ou pas.

Peut-être a-t-il pris goût au voyage durant ses années de Légionnaire. Il était jeune et sortait à peine de l’université, à l’époque. Louis détestait la violence et voulait avant-tout sauver des vies. Il refusait certaines pratiques de son entraînement, comme le coup à la trachée, ou monter à la corde. Son instructeur le soupçonnait d’être homosexuel et d’avoir le vertige. Pas que ce soit important. Ceci dit, malgré son habitude de dire « Ah, non. Je fais pas ça, moi. » ; le Doc’ ne fût pas réformé. Probablement parce que des médecins militaires, ça ne coure pas les rues.

Lorsqu’il était dans la Légion, des tyrans sont morts et des villages ont récupérés leurs reliques sacrées. Des musées ont réceptionnés leur patrimoine. Une fois, Louis prit des vacances. Un politicien mexicain ayant vendu de l’eau en tant que cure à des enfants cancéreux fût retrouvé mort chez lui, d’un coma hydraulique. C’est à se demander si le Docteur mourra vraiment un jour. Il lui suffit de prendre des vacances pour que le quartier lui attribue une rumeur supplémentaire.

Lors de l’enterrement de vie de garçon d’un de ses amis de la Légion, ils s’étaient retrouvés à douze aux portes de Las Vegas. Ce voyage pourrait faire l’objet d’un texte à lui seul, mais la conclusion en elle-même laisse imaginer le tumulte que le groupe a traversé. Après quatre heures où le garçon s’était égaré, ils le retrouvèrent adossé à un commissariat de Police fédéral. Nu et hagard, ne portant que deux bottes de cowboy, une chapka de l’ex-URSS, et un préservatif ensanglanté sur le sexe.
À chaque fois qu’il y pense, le Docteur se souvient de la première expérience sexuelle de cet ami dont ils enterraient la vie de garçon. C’était après avoir séduit une transgenre sublime dont il ne soupçonnait pas l’opération. Le Docteur se souvient encore de l’expression de surprise de son ami qui sortait en hâte de la voiture où le couple improvisé avait commencé à s’ébattre. Celle-ci aussi pourrait faire l’objet d’un texte.

À son retour de la Légion, et après son divorce ; Louis n’est pas devenu « Monsieur le Docteur » directement. Il a d’abord enseigné à son université pendant plusieurs années. Ses collègues du corps professoral avaient un peu peur de lui. Donc, ils n’osaient pas trop critiquer le fond ou la forme de son cours. Louis disait par exemple qu’un stéthoscope est surfait, parce qu’il peut s’abîmer durant un passage à ramper dans les marécages ou qu’il prend de la place dans un sac. Un espace nettement mieux occupés par de l’alcool à brûler ou un canif multi-usage. Il disait aussi que le jour où on décide de devenir médecin, on chie sur sa timidité et on se torche avec la pudeur. Le début de son cours sur les arrêts cardiaques expliquait également que le médecin qui a inventé le stéthoscope l’a fait parce qu’il était mal-à-l’aise lorsqu’il devait ausculter les femmes. La fin abordait systématiquement sa première réanimation dans un bolide fraîchement acquis. Le milieu variait selon l’humeur et les questions de son auditoire.

L’auditoire académique était précisément l’endroit préféré de Louis. Déjà lorsqu’il était étudiant, le jeune homme ne manquait pas un cours. Il mettait parfois à mal ses professeurs par ses questions pointues et son caractère proche de l’insolence. Lors de son bal facultaire, Louis s’était fait quelques ennemis dans le corps professoral en offrant trop de verres à ses chargés de cours. L’étudiant avait déjà une bonne descente et était d’un naturel presque provocateur en terme de défis d’éthylisme. Et, comme si ça ne suffisait pas, il s’était attiré les foudres des secrétaires de la faculté de médecine en se trompant volontairement de toilettes lors du bal en question. Ulcéré de voir que les femmes avaient pris l’habitude d’occuper les toilettes des hommes lorsque les leurs étaient remplies, Louis avait pris sur lui de dépasser l’entièreté de la file devant celle des femmes. Il s’était ensuite avancé vers l’évier et avait uriné irrévérencieusement devant les regards estomaqués de l’assemblée. Et quand une secrétaire avait osé le sermonner sur son comportement, Louis avait répondu sans subtilité « Allez-donc dire à vos copines de libérer les toilettes des hommes. J’aime pas attendre non plus. ».

Tout ceci aurait déjà pu suffire à lui faire perdre son emploi mais, comme il s’agissait du Doc’, il en fallait davantage. Il aura fallu deux scandales et une blague de mauvais-goût pour finalement le congédier. Lorsqu’il était encore professeur, il acceptait de temps à autres de faire de la consultance auprès du Ministère de la Santé. Un cas précis est important : celui d’un atelier protégé dirigé par l’échevin d’une commune aisée de la capitale.

Dans les faits, il s’agissait simplement d’un contrôle sanitaire de routine dans cet atelier protégé utilisé comme tannerie. Juste avant de sortir, Louis avait vu une petite porte dérobée avec un sigle « accès interdit ». Ce genre de sigles sont de mauvaises idées lorsqu’on veut éloigner le Docteur. Il demanda à un des trisomiques qui travaillait là ce dont il était question. « ‘Peut pas le dire. » n’était pas une réponse adaptée. Après avoir un peu insisté, l’employé avait expliqué qu’ils travaillaient les peaux dans ce local. À la main.

Il faut savoir que les tanneries sont sujettes à une stricte régulation au niveau des produits chimiques, parce que la large majorité d’entre-eux sont nocifs. Le « fin » mot de l’histoire est que l’échevin emmenait ses amis à la chasse dans la forêt avoisinante, puis il envoyait les carcasses à « son » atelier protégé ; et chargeait « ses petits trisomiques », selon ses propres mots, de traiter les peaux avec soin. Le Docteur fragilisa sa position en attaquant en Justice l’échevin. Au bout de huit ans il obtint gain de cause, mais Louis savait que ce n’était que déplacer le problème.

Le second scandale fût une publication dans un journal. Durant une relativement brève période de l’histoire belge, les fonctionnaires gouvernementaux étaient récompensés d’un jour de congé par don du sang effectués. Et, même si c’était limité à un par trimestre par la Croix-Rouge, cette pratique n’était pas tombée dans les oreilles de sourds. Le souci est qu’il n’était marqué nul part que le sang devait être de bonne qualité. Et que les humains ont tendance à faire la fête les veilles de congés.

Ceci eu pour résultat une vague de sang souillé qui fit bien plus de mal que de bien. Personne ne voulait « sacrifier » son jour de congé, même s’il y avait eu un « petit rhume » ou une énorme angine dans les semaines précédentes ; ce qui exclu directement un donneur régulier. Le problème ne venait donc pas de l’idée qui était plutôt belle sur papier, même si elle aurait pu ne pas être réservée aux fonctionnaires de l’État. Il venait plutôt de l’inhumanité de l’humain. Ou de son humanité, comme dirait le Doc’. Depuis lors, le problème a été réglé ; en ce sens que les heures de donations sont comptées comme prestations à la place de congé. Et ce, que le don soit accepté, utilisé, ou non.

Mais ce ne sont pas ces deux « vagues » qui coûtèrent à Louis Tare sa chaire professorale. Non. C’est un acte bien plus ignoble que de condamner publiquement des pratiques médicales douteuses. C’est une blague.

Avant de raconter la fin de la carrière professorale du Docteur, il convient de narrer la fin de sa romance avec une femme au centre de cette intrigue.
En commençant par le début:
Rencontrée dans une bibliothèque, Louis avait réussit à décrocher un rendez-vous galant avec une jeune secrétaire de l’université. C’était un peu arrivé par hasard. Comme toutes les romances, au fond. Marcel avait demandé la veille à ce que Louis lui prête son bolide pour impressionner celle qui deviendrait son épouse dans une autre histoire, ce qui obligea Louis a utiliser la vieille automobile de sa grand-mère. Une citadine verte de marque Ford, qui avait probablement le même âge que la brave prêteuse. Le rendez-vous commençait donc particulièrement mal mais cela ne faisait pas perdre au fringant séducteur ses moyens.

À son arrivée, il y avait toute la collection: une fleur pour la robe de la demoiselle, des fleurs et du chocolat pour sa mère, et une poignée de main virile et confiante pour son père.
Après un repas bien arrosé et une comédie romantique, Louis s’était perdu dans une forêt sur le chemin du retour. Prétextant une promenade en pleine nature, il avait séduit la belle et leurs ébats avaient été interrompus par une troupe de Guides en pleine expédition qui les avaient surpris et n’avaient pas pu retenir les rires d’adolescentes curieuses.
La jouvencelle s’était rhabillée en hâte, oubliant sa petite culotte que Louis tenait au bout de sa mains en la suivant vers la Ford. Embarrassée, la secrétaire s’était rassise dans la voiture, mal appareillée. Sans y penser, Louis rangeait la culotte dans la poche de son veston.

C’eut put être suffisant pour appeler le rendez-vous un désastre et arrêter là, mais la Ford décida de « mourir » sur la route avant d’arriver chez les parents.
Peut-être pour s’occuper en attendant une dépanneuse, la jeune femme avait accepté les avances de Louis une nouvelle fois. Et, comble de malchance, ils furent surpris à nouveau; mais par la gendarmerie nationale, cette fois.
La secrétaire fût redéposée devant chez ses parents par un combi’ et Louis fit la conversation au Maréchal des Logis qui était responsable de la patrouille nocturne.
Le jeune homme fit ainsi sa première connaissance avec l’uniforme. Louis parvint même a faire exploser de rire son interlocuteur lorsque, le froid aidant, il éternua et se moucha dans la petite culotte de la demoiselle, sous les yeux ébahi de l’assemblée de testostérone.

Vous savez déjà que le Docteur a un sens de l’humour particulier. Vous savez aussi qu’il aime les femmes. La Femme en général. Par un concours de circonstances digne du Doc’, ce dernier avait un jour séduit la sœur jumelle de l’épouse du recteur de la faculté de médecine. Il faut préciser que Louis n’avait jamais rencontré l’épouse en question. Et, lors d’une cérémonie académique où toute la faculté était présente, le recteur la lui avait présentée. Louis lui avait fait un baise-main, puis avait avancé son visage de celui de la femme pour lui chuchoter quelque chose à l’oreille. Ce quelque chose était : « Je sais à quoi vous ressemblez nue. ».

Ainsi Louis perdit son poste de professeur universitaire. Les étudiants qui l’ont connu parle régulièrement de cet homme farfelu qui passait des documentaires sur la masturbation animale à visée reproductive, en affirmant que les ours peuvent la découvrir avec un cailloux ; et que les experts du domaine ne sont pas tous zoophile. Tous ne sont pas des fans inconditionnels du Docteur.

Probablement parce qu’il avait l’habitude de mettre mal-à-l’aise ses étudiants dans son bureau en utilisant des normes sociales qu’il jugeait ridicules. D’abords, sa porte était toujours ouverte. Ensuite, son bureau était largement occupé par une gigantesque et totalement inadaptée table ronde. D’un côté de la porte, un petit tabouret. De l’autre, un grand siège pompeux digne d’un Pape provenant de l’âge d’or de l’Église. Enfin, il installait l’étudiant sur le siège papal et s’asseyait lui-même sur le petit tabouret. Le fait d’être ainsi posés sur un siège qui aurait clairement été destiné à quelqu’un d’important dans un autre bureau rendait complètement fou les étudiants qui osaient venir le voir.

Son dernier cours universitaire fût du même acabit que les autres. Une subtilité peut néanmoins être mise en exergue : l’anecdote traitait d’un cas parasitaire. Une femme qui souffrait régulièrement d’irrégularités dans son transit intestinal était venu voir une consœur de la branche chinoise de la médecine. La consœur avait demandé à la patiente de tenir une bouteille d’eau de la main gauche, puis d’essayer de pousser sur son buste avec la main droite. Cette patiente avait suivi les instructions de son mieux, mais un mouvement réflexe l’obligea à jeter la bouteille d’eau au sol sans comprendre comment ni pourquoi. La consœur avait dit « Ca ne va pas du tout. Tu n’es pas seule dans ton corps. ».

La jeune femme n’avait pas pris suffisamment au sérieux les dires de la consœur chinoise. Après cinq ans à faire tous les médecins de Belgique, c’est son ostéopathe qui avait finalement identifié le parasite et lui avait donné un traitement : une gélule par jour pendant dix jours.

Il est fort probable que l’auditoire ait pris ce dernier cas comme une métaphore sur les limites de la médecine occidentale et sur l’ouverture d’esprit dont un praticien doit faire preuve s’il veut vraiment aider ses patients. Il est tout aussi probable que le Docteur avait juste envie de parler de ce cas et qu’il n’est pas nécessaire d’en faire un thème philosophique remettant son enseignement dans une lumière nouvelle. Après tout, sa dernière phrase en tant que professeur universitaire fût : « On peut mourir avec une carotte. ».

De toutes ces frasques estudiantines, la plus célèbre auprès de ses étudiants reste celle où Louis mangea son képi de Légionnaire. Le professeur avait parié avec ses étudiants qu’il ne serait pas possible pour lui de partir en vacance cette année là, parce qu’au moins l’un d’entre-eux échouerait l’examen et qu’il devrait donc préparer une seconde session. Louis avait promis d’avaler son képi si tous ses étudiants réussissaient l’examen du premier coup. Ce fut le cas, et il tint parole. Après avoir publiquement dissous son képi de Légionnaire dans de l’acide, le professeur avait neutralisé le mélange avec un produit base, la transformant ainsi essentiellement en eau. Il aurait bien versé ce contenu dans de la bière avant de la boire mais il a bien trop de respect pour l’art de la brasserie. Le Docteur opta donc pour un café, qu’il bu devant toute l’assemblée après avoir déclaré qu’il n’accepte que les paris qu’il aime perdre.

Louis conserva sa fibre enseignante même après être devenu « Monsieur le Docteur ». Son épouse lui aura tout pris sauf son fils, une fin de semaine par mois. Ils ont l’habitude d’aller au cinéma regarder des films d’action avec Schwarzenneger, Willis, ou Stalone. D’ailleurs, lorsqu’il fut temps d’expliquer la sexualité humaine à son fils ; le Docteur l’emmena tout naturellement regarder le film Predator, dans le but d’effectuer un parallèle douteux entre le visage de l’antagoniste principal et l’appareil génital féminin. Son épouse ne lui pardonnera probablement jamais.

Il serait difficile de définir une fin à l’histoire de Monsieur le Docteur Louis Tare. Peut-être que l’avis du voisin de gauche à son encontre ferait office de conclusion acceptable. Peut-être. Vous l’aurez sans doute deviné : son voisin de gauche n’est pas un fan inconditionnel du Docteur. Cela vient d’un épisode de leurs vies où le voisin refusait de faire entraîner son énorme chien. Le Docteur lui avait dit de manière tout ce qu’il y a de plus diplomatique qu’une de ses patientes serait rassurée si son chien arrêtait de lui hurler dessus en lui courant après, à chacune de ses visites.

Évidemment, le voisin l’a envoyé paître. Sauf que le Docteur ne dort pas beaucoup, et qu’il est plutôt cruel. Gardez en tête que l’ancien Légionnaire dort habituellement nu, une machette à la main.

Louis s’est acheté un sifflet à ultrason et s’est mis à siffler un trait continu toute les heures. Le chien se réveillait, hurlait à la mort, et réveillait son maître. Un compromis fût trouvé en moins de 24h. C’est fou ce que l’être humain est capable de fournir comme effort lorsqu’il est motivé.

Pour en revenir à cette plaque, elle dit bien : Médecine militaire. Mais pas seulement. « L. Tare – Médecine militaire ». Régulièrement, le quartier se cotise pour offrir au Docteur une nouvelle plaque. Et pour cause : sa plaque est régulièrement vandalisée par le déplacement d’un « e » et l’ajout d’un « ´ ». Ce qui donne : Le Taré – Médecin militaire ».

Personne ne sait vraiment qui est le coupable, mais si vous vous levez suffisamment tôt ; vous pourriez bien surprendre un Louis Tare émulant un Dali. À l’instar du peintre qui avait l’habitude de se dessiner des moustaches extravagantes dans le but de ne pas se prendre au sérieux, le Doc’ ajoute de temps à autre une touche de folie à sa plaque qu’il trouve bien trop froide pour le représenter.