Écrit en 2015.
Table des matières
9, Événement
4, Cycle
7, Rencontre
2, Deuil
5, Source
8, Idylle
3, Morceau
6, Exode
1, Origine
0, Synopsis
Événement
Une saison complète. C‘est la durée qu‘elle et lui avaient dû patienter avant d‘enfin s‘unir sous le regard des humains et de leurs déités. La lettre qu‘il avait envoyée à son père vieillissant semblait avoir hâté son départ pour rejoindre sa muse. Le futur mari avait décidé de dire toute la vérité à son père. Il n‘avait bien sûr jamais pensé qu‘il s‘en suivrait un si funeste épisode. Une rupture, tout au plus. Peut-être même serait-elle temporaire, avait-il pensé. Malheureusement, la mort en avait décidé autrement. La cérémonie n‘en fut pas pour autant entachée. Personne n‘était présent à part les figures de l‘état et de l‘église. Le couple n‘avait besoin ni de l‘un, ni de l‘autre; mais s‘était laissé entraîner par l’émotion. Une saison complète, avait-elle dit. Ils étaient assis face à face sur le balcon, au petit matin suivant les noces. À peine avait-il repris conscience de la réalité, que sa récente épouse avait poursuivie. Elle avait également attendu pour lui annoncer la nouvelle d‘un heureux événement. Un enfant. Cette fois, le réel le frappa si fort qu‘il en laissa s‘échapper sa tasse encore chaude. La nouvelle le faisait osciller, basculer parmi un panel d‘émotions aussi riches que dévastatrices. Heureux. Trahi. Enragé. Déçu. Cela ne pouvait vouloir dire qu‘une seule chose. Ou peut-être plusieurs. Mais cela voulait dire quelque chose qu‘il craignait d’affronter. Le secret n‘était décidément pas doux avec lui.
Cycle
Les années ont passé. Sa femme l‘abandonne comme tous les autres. Son fils a le même âge que lorsqu‘il avait lui-même perdu son père. Son fils lui ressemble à s‘y méprendre. Le regarder est source de douleur et de fierté. Ils ne parlent que peu ensemble, mais un regard suffit pour tomber d’accord. Demain, le pan de vallée près de l‘arbre noueux. La semaine prochaine, l‘autre côté de la rivière. Un jour, son fils vient le voir et lui annonce qu’il voudrait faire des études outremer. L‘homme n’a pas à se plaindre de l‘assiduité de son enfant pour le travail. Il se demande seulement pourquoi celui-ci n‘éclate pas de joie lorsqu‘il accepte le projet. Il finit par se convaincre qu‘à son retour ils auront droit à des retrouvailles riches en émotions. Ca sera bien, se dit-il. Son bien-être est important, après tout. Il ne craint pas la solitude. À la fin de l‘été, il est seul.
Rencontre
Il arriva au début de l’automne. L’île lui était parfaitement inconnue, et il aimait cela. Le vent lui chuchotait des mélodies mélancoliques en sifflant dans les cimes des arbres. Il rencontrait la nature et, ne sachant ce qu’il y cherchait, se trouvait parfois. Un temps à la fois. Lorsque les cours débutèrent, il fit une autre rencontre. Une femme, bien sûr. Aurait-il pu en être autrement ? Étonnante. Seule. Sa mère était morte l’année précédente, et cela les rapprochait. Ce qui était plus étonnant, c’était la ressemblance de leur nom. Le même, à une lettre près. Incroyable comment un « o » peut donner une consonance masculine tandis qu’un « a » peut donner une consonance féminine. Ils firent leurs études ensemble, et ce faisant, il commença à reprendre goût à la vie. Un goût qui excédait la volonté d’être « un » seul. Un goût qu’il voulait donner et prendre sur les lèvres de cette femme. Étonnant, de fait, qu’une femme presque le double de son âge soit « cette femme ».
Deuil
L‘année suivante, la famille des îles n‘était pas venue. C‘était la première fois. Les excuses n‘étaient pas difficiles à trouver. Argent. Temps. Santé. Bref. L‘été fut pour la première fois synonyme d‘ennui. Il revisitait la vallée chaque jour. Le matin, avec son père. Il fallait bien travailler la terre. Il fallait bien vivre. Toutefois, lorsque le soleil faisait loi et que son père rentrait s‘en protéger, l‘adolescent se livrait à un autre travail. Un travail de mémoire. Il craignait d‘oublier ces histoires merveilleuses qu‘elle lui avait conté, été après été. Le réel l‘oppressait chaque jour davantage. Et plus il avait besoin de ces escapades récréatives, plus ce monde imaginaire semblait le fuir. À la fin de cet été-là, son père mourut. C‘en était fini de l‘enfance. C‘en était peut-être même fini de l‘adolescence. Il devenait l‘homme de la maison et avait pour responsabilité de prendre soin de sa mère. Il avait espéré que ceux des îles viendraient pour l‘enterrement. Au moins pour l‘enterrement. Cela lui aurait fait du bien de revoir sa comparse, pensait-il. Et l‘absence n‘en fut que plus douloureuse aux funérailles. Il en vint à corrompre ses souvenirs et affections avec une aigreur qu‘ont typiquement les adultes qui se sentent déçus. Il ne la reverrait jamais. Et même si c‘était le cas, il ne s‘agirait plus de la même personne.
Source
Il s’était habitué à sa vie en pleine campagne. Avec son père, il prenait soin de la vallée qui environnait leur maison. La vallée leur était source vitale. Il avait appris à respecter la terre et tous ses habitants. Son père ne prenait pas la parole souvent, mais à chaque fois l’histoire valait le détour. Il s’agissait de davantage que simplement apprendre quelle plante fleurit à quelle époque de l’année. C’était apprendre le « pourquoi » et le « comment » de chaque chose. De chacun. Une magie se dégageait de chaque récit. La narration semblait provenir de plus loin que l’homme. Après tout, la nature ne parle pas pour elle-même. Son enfance aidant, il avait fini par apprendre tout de la forêt et de ses habitants. Cependant, l’entièreté n’était pas emplie de couleurs et rebondissements. Sa mère l’abandonna pour les limbes juste avant qu’il n’atteigne l’âge d’homme. Il ne saurait dire pourquoi, mais il eut le sentiment que le regard de son père changea. Il parla moins. Le jeune homme finit par se convaincre qu’étant fils unique, il était de son devoir de contribuer à la pérennité et à l’avenir de la maison familiale. Il se mit en tête de trouver une épouse, espérant peut-être réentendre les histoires du père lorsqu’il les raconterait à son futur petit-fils. Malheureusement, dans le but de prouver à une future compagne potentielle qu’il pouvait procréer, il apprit avec effroi qu’il en était incapable.
Idylle
Avec le temps, il avait compris. Quelque chose dans son apparence. Ses moues. Sa ferveur lorsqu’elle raconte des histoires. La passion qu’elle peut susciter chez lui lorsqu’elle les fait vivre. Il avait commencé à poser à sa moitié les questions qui le taraudaient. C’était presque mignon, qu’au milieu de leur idylle, le jeune homme continue de donner des preuves d’intérêt pour la femme et sa famille. C’est certainement pourquoi elle avait décidé de ne pas s’en attrister, même s’il s’agissait souvent d’une triste histoire. Sa mère devant se débrouiller pour survivre après la mort sinistre et douteuse d’un père dont elle n’avait aucun souvenir. L’isolation sur l’île, à être traitée d’étrangère parce que sa mère était du continent. Toutefois, elle désirait tout partager avec son compagnon. Aussi étrange et inattendues soient leur rencontre et leur relation. Il avait fini par comprendre que leur lien était davantage qu’amical. Davantage que romantique. Un lien déontologiquement inavouable et condamné par la morale des humains. Un lien qui ne peut être créé que dans l’erreur ou dans la faute. Mais il avait décidé de ne rien dire. Ils étaient famille avant de fonder famille. Il savait et pensait que cela ne poserait pas de problème dans le futur. Il partagerait tout le reste avec elle. Parce qu’il était « chose » dans le monde de la femme. Tout le reste.
Morceau
Sa mère vieillissait à vue d’oeil. Et son oeil jugeait l‘incapacité de son fils à assurer descendance. Les rumeurs dans le village tournaient régulièrement autour du jeune homme solide et ténébreux qui avait affronté la difficulté de la vie avec stoïcisme. Il restait toujours aussi silencieux. Il n‘allait pas à l‘église. Il travaillait chaque jour sans interruption. Dans le but de rassurer sa mère, il avait choisi en hâte une femme à épouser. Facile, car apeurée par la pensée de finir vieille fille, la femme avait presque le double de son âge. Presque. Et les gens osèrent à peine se moquer de lui lorsque la mort décida d‘emporter la mère le soir des noces du fils. À peine. Le voici seul avec une femme qui se révèle particulièrement fertile. On pourrait penser qu‘il décide de s‘accrocher à la vie, mais quelque chose semble indiquer que c‘est la vie qui s‘accroche à lui. Il respectera sa femme, répondra à ses responsabilités de pourvoyeur du foyer ; et élèvera son fils.
Exode
Son monde s’était effondré autour de lui. Davantage que le vide que sa vie lui offrait, il craignait pour le sens qu’il avait donné à sa relation avec son père. Pendant un temps, il poursuivit sa vie comme il pensait devoir le faire. Il travaillait dur. Il aidait son père. Il obtenait de bonnes notes. Mais tout ceci était vide. Le temps passant, il craignait de ne jamais vraiment vivre. Il résolut de chercher son chemin. Au sens propre comme au sens figuré : voyager. Au mur, noircie par la fumée de la cheminée, résidait une carte que personne n’avait jamais osé toucher de peur de l’abîmer. Qui sait qui en est son dessinateur ? Ce qui l’avait souvent intrigué était le centre de cette carte. L’océan. À l’Ouest, des îles. À l’Est, le continent. Son continent. Son esprit avait appris à vagabonder pendant les longs silences qui étaient devenus sa relation avec son père. Un jour, il se décida et lui annonça qu’il désirait aller poursuivre ses études de l’autre côté de l’océan.
Origine
Cet été-là, sa tante était venue avec sa fille unique. Ils avaient tous les deux dix-sept ans et avaient de bons souvenirs ensemble. Après tout, chaque année les expatriés revenaient au continent afin de partager l‘été en famille. Étant enfants, ils avaient pris l‘habitude de jouer et se promener dans la nature environnante. La campagne a cela à offrir. Pour plusieurs, ce n‘est pas assez. Ca n‘avait pas été assez pour sa tante, qui avait saisi la première occasion de quitter le village. Cette occasion, c’était un homme. Pas vraiment futé. Pas vraiment méchant. Un peu branché sur la bouteille. Mais surtout : un marin. Il venait des îles et l‘avait rencontrée lors d’une escapade avec l‘équipage. C‘était il y a longtemps. Plusieurs années de malheur plus tard, elle le quittait avec pour seul trésor sa fille. La tante ne parle jamais de son travail et personne ne lui en demande davantage. Les deux enfants ne se sont jamais disputés. Le garçon parlait peu. La fille parlait pour deux. Il aimait ça. Avoir une place dans l‘imaginaire incroyable de cette perle. Avec elle, un après-midi désoeuvré devenait une conquête épique du royaume champignon par le prince gaucher, faucheur d‘arbre à biscuit, destiné à chasser le craint colonel brocoli, dont les devoirs de mathématiques n‘avaient d‘égale que sa volonté d‘obliger tous les enfants du monde à terminer leurs légumes avant de faire la sieste. Elle faisait tout cela en un claquement de doigts. Sans suer. Et avant ladite sieste. Parfois, il se demandait si toutes les vallées du monde suffiraient pour contenir l‘imagination de l’enfante. Mais avant d’être entrés dans l‘adolescence, ils avaient tout juste eu le temps d‘explorer leur vallée. Explorer est certainement un euphémisme. Il la connaissait par coeur, ainsi que chaque aventure que chaque recoin avait abritée. De plus, ils étaient capables de prédire l‘évolution que la nature poursuivrait. Le début de la migration de telle espèce d‘oiseau. La croissance de la forêt. L‘écoulement de la rivière, et le creuset de son lit. Cependant, cette année était différente. Chaque année avait été différente. Néanmoins, celle-ci l‘était davantage. Laissée à leurs jeux, l‘innocence n’était qu‘un voile et n‘attendait qu‘un souffle pour s‘envoler. Un après-midi comme les autres, ils s‘étaient abrités du soleil sous un gigantesque arbre noueux. Assommés par la chaleur, ils s‘étaient allongés sur la terre meuble que les racines de leur abri aéraient. Contrairement à l‘ordinaire, elle était silencieuse. Pourtant, il ne s‘agissait pas des réflexions habituelles. Son imagination ne cognait pas à ses tempes. Il s‘agissait d’un autre divertissement. Bercés par le doux et régulier écoulement d‘un ruisseau, ils s‘étaient adonnés à un autre jeu. Jamais il n‘avait été dit qu‘il était interdit. Ce n‘était qu’un autre jeu.
Synopsis
Nos vies ne sont que des histoires. Celle-ci tourne autour d’un non-dit. Un élément qui broie par sa présence. Un élément qui broie par son absence. Il donne la vie et l’use en cette occasion. Elle est à prendre comme une histoire à lire et (re)construire au coin d’un feu. Accompagné. Toujours accompagné.